Dans votre roman, vous décrivez la relation passionnelle qui se noue entre deux personnages, Eric et Gloria. Comment, lors de l’écriture du scénario, Eric est-il devenu Frances ?
Virginie Despentes – Lorsque j’ai commencé le travail d’adaptation, je suis restée fidèle au roman, aux personnages et à l’époque. Et puis, j’ai commencé à galérer parce que je n’arrivais pas à imaginer quel acteur je pouvais mettre en face de Béatrice Dalle. A l’époque, on habitait le même quartier avec Béatrice, on se voyait de temps en temps. On a passé une journée à s’amuser à passer en revue les comédiens avec lesquels elle aimerait tourner ou qu’elle aimerait embrasser à l’écran. Sans succès. C’est elle qui m’a ensuite suggéré de remplacer le rôle masculin par une fille. Ça a été un déclencheur : j’ai tout de suite pensé à Emmanuelle Béart, avant même de savoir si elle accepterait, et j’ai écrit la première mouture du scénario en une semaine. Tout à coup, le sujet prenait un autre intérêt : il y a peu de films grand public avec deux filles et c’était motivant de réunir Béatrice et Emmanuelle qui n’avaient jamais tourné ensemble. Par rapport aux années 80, il y avait comme une évidence : Dalle et Béart, c’est Manon des sources rencontrant Betty. Le film devenait une comédie amoureuse lesbienne, ce qui motivait vraiment mon désir de le tourner.
Vous aviez pourtant eu ce même désir, en écrivant une histoire d’amour hétérosexuel…
A l’époque, je ne m’étais pas posée la question, parce qu’en écrivant un roman, on ne se demande pas qui va incarner tel personnage, c’est un hybride de plusieurs personnes que l’on connaît. Pour un film, c’est différent : j’ai besoin d’avoir quelqu’un en tête et il faut trouver quels comédiens mettre face à face.
Pourquoi Emmanuelle Béart s’est-elle imposée pour le rôle de Frances ?
Parce que je l’adore. Le fait que j’aime Béatrice Dalle coule plus de source mais j’ai toujours trouvé le parcours d’Emmanuelle formidable – Une femme française, Les Enfants du désordre, La Belle noiseuse, Un coeur en hiver, Téchiné… – et surtout, il fallait quelqu’un capable d’assurer face à Béatrice Dalle ! Il y avait aussi l’envie inconsciente et vaguement perverse de réunir les deux icônes hétéros de ma génération qui ont dû, à un moment donné, éveiller le désir de tous les garçons.
Le temps d’adaptation a été particulièrement long…
Très long. Au départ, me demander de réaliser le film était une idée de producteur. Ça ne s’est pas déroulé comme prévu et le film a été repris plus tard par un autre producteur, Cédric Walter. Il s’était déjà écoulé deux ou trois ans, mais le casting me motivait toujours autant : je voulais bosser avec ces deux comédiennes et elles avaient aussi très envie de travailler ensemble. Je n’avais pas perdu l’envie de faire le film.
Contrairement à Baise-moi, que vous vous étiez retrouvée, presque par contrainte, à tourner ?
Ça n’était pas une contrainte de réaliser Baise-moi. A l’époque, le producteur qui avait les droits n’arrivait pas à trouver un réalisateur et il s’est produit un déclic, sur les actrices Karen et Raf, lorsque j’ai visionné une vidéo que m’avait prêtée Coralie Trinh Thi. C’était plus un truc de gamines : on avait écrit le scénario en une semaine, Philippe Godeau a eu envie de le faire et quatre mois plus tard, on tournait. Il y avait quelque chose de magique, de spontané, de violent aussi. J’en ai gardé un excellent souvenir et une envie d’être réalisatrice, même si l’interdiction et la polémique qui ont suivi ont été pénibles. Et puis, j’ai fait un documentaire, Mutantes : on était quatre dans un camion, à se promener partout, en liberté et sans trop de contrainte technique, c’était génial.
Baise-moi a-t-il été un sésame pour passer à votre second film ?
Au contraire. A l’exception de Wild Bunch qui était là au début du projet, peu de gens avaient envie de travailler avec la fille qui avait fait Baise-moi. Le cinéma français n’est pas non plus un milieu d’intrépides (rires). Lors de la présentation de Bye bye Blondie au Festival du film gay et lesbien « Chéries-Chéris », vous vous êtes presque excusée auprès du public qu’il n’y ait pas de sexe… Dans les rapports avec les divers interlocuteurs du film, j’ai compris qu’il ne fallait pas refaire Baise-moi mais, qu’en même temps, l’absence de sexe et de violence serait une déception. Il y a de vrais point communs entre les deux films – Deux filles se rencontrent et partent en guerre contre le reste du monde, le même genre de musique – mais c’est vrai qu’ils sont aussi très différents. C’est un choix de ne pas avoir de sexe dans Bye bye Blondie. Je n’avais pas besoin de les filmer nues pour montrer que Gloria et Frances s’aiment et se désirent. Je n’avais pas envie de faire un film lesbien pour que les vieux males hétéros viennent se rincer l’oeil, alors j’ai zappé « la » scène de baignoire qui hante tant de films lesbiens… Et filmer le sexe en limitant le cadre à ce que la censure peut supporter ne m’intéresse pas. Pour les fistings, je reviendrai !
Vous filmez justement l’intimité amoureuse avec un rare souci de réalisme dans les gestes amoureux…
C’est quelque chose dont on a discuté avec Emmanuelle et Béatrice en préparant les scènes. Quelle que soit la partie du film, il fallait toujours qu’on voit deux filles qui s’aiment et qui ont du désir l’une pour l’autre. C’est à la fois une chorégraphie et la résultante de la complicité entre les comédiennes. Je les ai faites beaucoup rigoler en leur expliquant ce qu’était l’amour lesbien, mais ça les a mises au défi : s’aimer entre filles, ce n’est pas juste s’effleurer ; ça n’est ni un truc de petites filles ni un truc pervers, c’est s’exprimer avec tout son corps. Comme d’habitude, quoi, mais ça me paraissait important de le répéter (rires).
Vous ne trouvez pas surprenant de devoir « expliquer » l’amour lesbien, alors que les attentions et le désir sont les mêmes que dans un couple gay ou hétéro ?
Quand quelque chose n’est presque jamais représentée, cela n’est pas évident à jouer. Lorsque l’on voit des scènes d’amour cinquante fois à l’écran, on sait en reproduire les codes. Il n’y avait aucune raison pour que les quatre comédiennes soient habituées au Festival du Film gay et lesbien : elles ont vu L Word parce que je le leur ai demandé (rires). Sinon, l’amour lesbien dans les films consiste souvent en un rapport de destruction – un truc morbide, où une fille veut détruire l’autre. Ou en un motif comique – la camionneuse qui fait rigoler tout le monde. Des filles qui sont ensemble, et qui cherchent à surmonter des problèmes de couple comme les couples de cinéma en ont, ça n’existe pas dans le cinéma grand public. La dernière fois que l’on a vu un film « mainstream » où deux filles s’embrassent – toujours dans une baignoire – c’est Gazon maudit. Ça remonte à quelques années ! En comparaison, l’image du couple gay a beaucoup évolué, dans les films et dans les séries comme Queer as folk et Six feet under, même s’il y a encore du boulot, notamment en ce qui concerne le vécu adolescent.
L’alchimie entre Béatrice Dalle et Emmanuelle Béart s’est-elle construite en amont ou prise après prise ?
C’est scène après scène et, en tant que réalisatrice, je devais les accompagner ou les aider à aller un peu plus loin quand cela me semblait nécessaire. Par exemple, sur la manière dont elles se donnent la main dans la voiture, ou quand elles s’embrassent pour la première fois dans la chambre d’hôtel. Il y avait mon regard mais l’essentiel s’est joué avec les comédiennes, leur aptitude à être généreuse et là, je ne pouvais pas mieux tomber.
Quelle a été leur approche du personnage et, plus généralement, du film ?
Très différente. Emmanuelle a énormément besoin de discuter avant, elle pose beaucoup de questions, elle discute les scènes en amont. Alors que Béatrice ne demande absolument rien, verbalise peu de choses mais a une incroyable faculté de concentration. Elle arrive sur le plateau en déconnant et puis elle s’immerge, c’est physique : tu la vois plonger dans la scène en une seconde. Béatrice est en déduction, c’est une enquêtrice. Les accessoires et les costumes, par exemple, lui servent à comprendre la scène de l’intérieur. Pourtant elle est toujours habillée de la même façon, d’un film à l’autre, mais c’est au moment des essayages qu’on a échangé le plus de choses sur qui était Gloria. Emmanuelle entre en concentration plus tôt, d’une façon plus linéaire, plus constante. Ce qu’elles ont de commun, c’est leur générosité l’une envers l’autre. Elles jouent ensemble et en dehors des prises, elles sont égales à elles-mêmes. Ce ne sont pas comme les chanteuses qui disent s’adorer et ne pensent en fait qu’à couvrir la voix de la rivale ! (rires)
Comment avez-vous travaillé avec Soko et Clara Ponsot, qui incarnent respectivement Gloria et Frances, adolescentes ?
Soko est une chanteuse de folk, alors lui expliquer ce qu’est le punk rock ne me paraissait pas évident ! Je l’ai confiée à Lydia Lunch, une grande dame – qui chante dans le film Avec le temps va, tout s’en va – et qui lui a expliqué : « Tu gardes le sourire mais tu souffres à fond, tu n’arrêtes pas de souffrir, tu souffres ». Je crois qu’à partir de là, Soko a compris l’idée du punk-rock. Le « problème » avec Clara, c’est qu’elle est vraiment une ravissante jeune fille : il fallait la convaincre qu’être en jeans, avec des docks, avoir les cheveux tirées en arrière, le sourire rare, un côté butch et masculin, ça allait être cool (rires). Il s’est passé avec elles la même chose qu’entre Emmanuelle et Béatrice : elles étaient attentives l’une à l’autre, et très généreuses vis-à-vis du film.
Le personnage de Claude, incarné par Pascal Greggory, apporte un contrepoint amusé et distancié au récit. Est-ce que vous l’aviez scénarisé dans ce but ?
Dans le roman, c’est Gloria qui écrit et là, c’est Claude qui romance l’histoire de Frances et de Gloria. Le personnage a beaucoup évolué dans le scénario : au départ, il était négatif, machiavélique, manipulateur puis il s’est adouci, peut-être parce que c’était Pascal Greggory et que cela m’amusait, en tant qu’écrivain, d’en décrire un autre. Pascal a très bien compris l’état d’esprit du romancier, parce qu’il en a côtoyé beaucoup, d’Aragon à Duras en passant par Sagan. On ne devait pas terminer le film avec lui, mais lors du montage, j’aimais tellement Pascal que Claude s’est imposé, a trouvé sa place avec ces deux femmes.
Avez-vous besoin d’un rituel délirant comme celui de Claude pour écrire ?
Non (rires). Je trouve qu’il n’y a rien de plus casse- couilles que d’écrire des romans et pas mal d’écrivains sont eux-mêmes casse-couilles ! Certains fonctionnent normalement mais se mettre à écrire, tout seul dans son antre, c’est un truc de fou. Ce qui est inattendu dans le film, c’est l’emprise qu’exerce la fille de bonne famille sur la jeune punk. C’est Frances qui mène la danse, contrairement à ce que l’on pourrait imaginer. Je les vois davantage comme des forces, des puissances différentes. Gloria porte une énergie de vie, destroy, plus désordonnée alors que Frances est centrée, équilibrée. J’aimais aussi l’idée que celle qui est et reste lesbienne – Frances – soit celle qui n’a pas peur. Lorsque l’on est une gamine de 14 ans, il faut avoir les c… bien accrochées pour aller draguer la fille hétéro qui te plait, alors que cette attirance-là n’est pas censée exister. Ça développe forcément du courage et de l’effronterie. Aux petites hétérotes, on apprend à se faire désirer et attendre que ça arrive, alors que les petites lesbiennes, à l’inverse, doivent « y aller », sinon il ne se passera rien de ce qu’elles veulent. La gouine ne peut pas être une belle au bois dormant, il faut qu’elle monte à cheval et qu’elle terrasse le dragon elle même. Il faut provoquer les choses et la détermination de Frances correspond aussi à ce qu’elle devient plus tard : une vedette de la télé. Ce n’est pas le genre de poste qu’on obtient en n’étant pas capable de désir. Gloria est très bien dans sa vie, mais elle a moins de directions où aller.
Pourquoi avoir accordé une part quasi-égale aux flash-backs et au récit contemporain ?
Dans le roman comme dans le film, je voulais montrer ce qui nous reste de nos 15 ans, ce qui se rejoue ou pas à 40 ans. Je suis fascinée par le fait que l’on est à la fois la même personne, le même corps et quelqu’un de différent. Quand on a 15 ans, on est dans un No Man’s Land : on n’est plus un bébé, on n’est pas encore ce que l’on va devenir. C’est un moment magique, tragique, assez intense.
Quelle serait votre constante personnelle, entre l’adolescence et aujourd’hui ?
Le désir sûrement… Un enthousiasme… En même temps, celle que j’ai été à 15 ans est encore là. Dans le bon et le mauvais sens. Il y a des choses qui meurent et d’autres que l’on comprend mieux. Personnellement, je me découvre plus de douceur. A 40 ans, on ne veut plus être un super-héros.
Y a-t-il un parallèle avec votre évolution de cinéaste, de Baise-moi à Bye bye Blondie qui est nettement plus posé, classique dans sa mise en scène ?
C’est une évolution personnelle générale. C’est aussi dû au choix de travailler avec Hélène Louvart comme directrice photo – j’avais fait mon premier court métrage avec elle – qui soigne beaucoup sa lumière, ses plans et dont le résultat est posé. J’avais envie de faire un film classique, pour expérimenter, manipuler ces codes-là et je trouvais la forme appropriée au sujet : le point de vue du film est celui de quadragénaires…
… Ce qui ne vous aurait pas empêchée de filmer l’adolescence de façon enflammée et de revenir au classicisme, lorsque vous traitez le versant adulte.
Je me suis posée la question, mais je pense que ça aurait sonné faux. L’histoire est tellement intense pour ces deux filles – l’hôpital psychiatrique, le mouvement et la musique punk – que si l’on avait filmé cette partie par exemple en Steadycam, on perdait l’idée de continuité dans la narration. Le style classique est vraiment adapté à ce projet-là. Je tenais aussi à ce que n’importe qui puisse voir cette histoire entre deux filles. Je ne voulais pas que les gens trouvent toutes sortes de prétextes pour éviter de se confronter au sujet.
Les scènes dans l’hôpital psychiatrique, où se rencontrent Gloria et Frances, échappent aussi aux clichés hystériques du genre. Comment les avezvous abordées ?
J’ai été internée lorsque j’avais 15 ans, parce que mes parents se sentaient démunis vis-à-vis de moi, donc je gardais un souvenir précis du quotidien : la plupart des gens qui travaillent là-bas sont plutôt sympathiques, ils veulent bien faire ; après, c’est toi qui est bouclé et que ça rend fou. La véritable violence, pour moi, se situait dans cette amabilité insupportable. Je peux me plaindre d’y être restée longtemps, pas du sadisme du personnel et c’est vrai que je n’ai pas vu souvent cela à l’écran. On a tourné en Belgique, à Lisieux, ce qui a renforcé l’authenticité des scènes. Ensuite, c’était une question de choix : personne ne devait se rouler par terre ou basculer d’avant en arrière ; on n’allait pas mettre en fond sonore des bruits bizarres ou choisir un acteur peu sympathique pour jouer un infirmier. Le psychiatre est peut-être le plus flippant, mais c’est juste parce qu’il exerce un pouvoir avec la certitude de bien faire son boulot. Par exemple, les psys ne voyaient pas pourquoi des ados voulaient avoir des cheveux rouges et s’estimaient capables de soigner cette obsession. Le problème, c’était qu’il n’y avait pas de problème (rires).
L’un des aspects du mouvement punk auquel appartient Gloria est la pérennité du clan, d’une identité et d’une solidarité communes…
Dans les années 80, oui. Aujourd’hui, je pense que les communautés ont explosé. A l’époque, l’impression – peut-être idiote – que c’était une question de vie ou de mort nous liait. Il y avait une reconnaissance immédiate : dès que l’on arrivait dans une ville – ce qui a été mon cas à Besançon, à Toulouse… –, on cherchait les punks et on s’intégrait rapidement. Une culture commune s’est créée. Pour certains, elle était politique – de l’extrême gauche aux alternatifs, en passant par les skins – culturelle avec des films comme Mad Max, Orange mécanique, Blue velvet, et littéraire avec des auteurs comme Bukowski. Bien sûr, il y avait aussi la musique : tu étais « Sex Pistols » ou « Clash », « Crass » ou « The Meteors », ce qui t’obligeait à te situer sur des événements politiques, comme l’Irlande, le Pays Basque ou l’Intifada.
Il y avait aussi un rapport à la drogue, à la défonce.
On rejetait la réussite sociale, c’était classe d’être pauvre et loser. Tout cela était lié à l’époque, parce que l’on était déjà dans un monde qui se cassait la gueule, avec Tchernobyl, la chute du mur de Berlin, l’Angleterre de Thatcher etc. Je suis restée dans cet univers jusqu’à 23 ans, au moment où j’ai écrit Baise-moi.
Dans le film, on sent, davantage qu’un militantisme, l’idée de se retrancher en groupe, hors du diktat du matérialisme et de la beauté.
Au moment où je situe le film, en 1984, c’était un mouvement plutôt chaotique. Il a fallu attendre la fin des années 80 pour que cela devienne, en tous cas pour moi, quelque chose de plus structuré et de politique. Il y a chez Gloria, un refus de croire la parole commune et de subir le cadre de l’autorité. Cela fait aussi partie de l’adolescence…
L’autre force du punk a été sa créativité musicale, dont vous exploitez certains morceaux dans la bande originale.
En France, dans les années 80, c’était formidable parce que chacun enregistrait son disque dans son coin. Il y avait une foule de labels indés et autoproduits. La musique traduisait souvent un amour du langage, une acuité des textes qui reste, encore aujourd’hui, stupéfiante. Si on écoute aujourd’hui les morceaux de La Souris déglinguée, ou « Osmose 99 » de Parabellum, ou n’importe quel morceau de « Concerto » des Béru, on ne peut pas dire que le message, dans le fond et dans sa forme, soit devenu obsolète, au contraire. J’ai beaucoup réécouté de musique des années 80, c’était compliqué de choisir, parce que je voulais faire un film accessible au plus grand nombre. Je crois qu’il y a des musiques que les spectateurs ne sont pas prêts à entendre, de manière abrupte : ça les sortirait illico du film. Martine Giordano, qui a monté le film, n’avait jamais écouté de punk de sa vie et son oreille a été précieuse. Je connaissais trop bien toutes ces musiques pour être toujours pertinente : par exemple, Camera Silens et L’infanterie sauvage que j’adore, ça la faisait sortir du film, contrairement à Parabellum ou Babyshambles…
Le montage avec Martine, qui est une professionnelle extraordinaire, m’a énormément appris et le film a ce style classique aussi grâce à elle. J’ai compris beaucoup de choses, en terme de construction de scène, d’enchaînement de plans… J’ai même appris que lorsque l’on regarde un acteur jouer en gros plan, on doit être capable de juger la pertinence de son mouvement de sourcils !
Avez-vous choisi Nancy, où vit Gloria, parce que c’est la ville de votre enfance ou parce qu’elle représente toujours un cocon pour le mouvement punk ?
Il n’y a que Philippe Claudel qui tourne à Nancy et avec toute l’affection que j’ai pour lui, je ne trouvais pas ça normal (rires). Le cinéma français a toujours du mal à représenter la province et j’aime tourner làbas, comme je l’ai fait dans les Vosges pour Baisemoi. Dans les années 80, Nancy faisait partie d’une région précocement touchée par la crise et il n’y a pas de punk sans crise. J’ai été marquée par tout ça, par la vision de Longwy, à 100 km de Nancy, avec ses rues entières désertées… En quelques mois, tout était terminé : une ville peut faire faillite. C’est très impressionnant quand tu es ado.
En contraste, il y a le milieu chic parisien de l’audiovisuel dans lequel évolue Frances. Est-ce que vous l’avez dépeint de manière archétypale ou proche de ce que vous connaissez ?
Les deux reviennent au même : ce que j’en connais est archétypal. Ce que l’on peut en imaginer est absolument vrai et c’est ce qui fait la violence de ce milieu. Se faire virer du jour au lendemain, sans préavis ; être détesté et envié quand on est au sommet ; dire les yeux dans les yeux l’inverse de ce que l’on pense ; retomber dans l’anonymat total dès que l’on quitte l’écran : tous ces clichés ne sont que le reflet de la réalité. Les individus ne sont pas plus grotesques, incultes ou méchants qu’ailleurs, mais le milieu est caricatural.
Lors du tournage de Bye bye Blondie, vous avez eu une phrase surprenante : « En tant que romancière et réalisatrice, ce sont les archétypes qui m’intéressent le plus ».
C’est parce que j’aimerais en créer de nouveaux. J’adorerais que Frances devienne l’archétype d’un certain type de lesbienne hyper séduisante ! Le couple de la punkette et de la butch, je le trouve très archétypal sauf qu’il n’existe pas encore vraiment (rires). En tant que spectatrice, je suis fan de ce que Tarantino a réussi à faire avec Kill Bill ; il y a aussi L’Ange de la vengeance de Ferrara, Mad Max, Scarlett O’Hara, autant d’archétypes qui ont marqué la mémoire collective. Si une fois dans ta vie d’artiste, tu réussis à faire éclore un nouvel archétype, ça veut dire que tu as impacté l’inconscient collectif, et si l’archétype est neuf, alors tu as fait évoluer les mentalités.
Au regard de ce film, est-ce que vous vous définiriez comme une idéaliste, une utopiste ?
J’ai une part d’enthousiasme, à défaut d’être une optimiste. Ca m’intéresse de me faire « massacrer » à la vision d’un film, mais j’aime aussi y trouver de la lumière. Depuis quelques années, on baigne dans une telle sinistrose collective que se faire un peu de bien est nécessaire. La tragédie n’est pas une garantie d’intelligence ou de sophistication, et faire mourir tout le monde à la fin d’une histoire peut aussi être une forme de facilité. J’aime l’idée qu’en faisant ce film, je tape dans le dos de certains spectateurs, de façon bienveillante, car ce sont des spectateurs à qui on ne vient pas souvent taper dans le dos.
Est-ce que Bye bye Blondie vous conforte en tant que cinéaste, comme vous l’êtes en tant que romancière ?
Non, parce que deux films ne me suffisent pas pour me sentir cinéaste. Lorsque l’on passe au second film, on perd en magie, on commence à cerner les problèmes mais on ne les résout pas encore. Par contre, Bye bye Blondie me donne vraiment envie d’en faire d’autres.
(dalla Cartella Stampa del film)